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08/03/2008
Alchimie de la maladie
Comme j'émerge de la grippe, il m'a semblé intéressant, en prenant comme exemple F.Nietzsche et C.G.Jung, de parler d'un sujet que j'ai probablement déjà abordé (il m'arrive de me perdre dans les méandres de mon blog) la maladie en tant que facteur d'évolution.
Il existe, chez Nietzsche et chez Jung, une attitude à la fois semblable et différente vis-à vis de ce qu'ils appellent les "états valétudinaires ", pour faire simple la maladie. Nietzsche a principalement développé le sujet dans Ecce homo et dans sa correspondance et Jung dans Ma vie et aussi dans sa correspondance.
Pour Nietzsche, le corps constitue un lieu d'élaboration où l'excès de santé, mais aussi la maladie, sont des stimulants de la création. La maladie lui était , en quelque sorte, indispensable et ses lettres recèlent un impressionnant catalogue de ses maux. Michel Onfray écrit à ce sujet dans L'art de jouir p.68 :
" Qu'en est-il de ce corps porteur de Zarathoustra qui enfantera les perspectives du Surhomme ? La lecture de la correspondance complète du philosophe donne tous les détails. Nietzsche interpose son oeuvre entre sa chair qui se dérobe et ne parle qu'en termes de malaises et sa volonté de santé, éternel voeux pieux. il avait coutume de dire que ce qui ne le tuait pas le fortifiait : son oeuvre complète est placée sous ce signe ".
La maladie était un refuge qui permettait à Nietzsche d'échapper au quotidien, d'excuser certains comportements. Mais elle était aussi un moyen de ralentir l'excès de feu sous l'athanor, les dépenses d'énergie excessives qui empêchent l'évolution des forces créatrices.On se retrouve ici dans les perspectives alchimiques de la voie sèche et de la voie humide. Il me semble que ce passage de Ecce homo (p.56) le montre bien :
"La clarté et la belle humeur parfaite, voire l'exubérance de l'esprit que reflète l'oeuvre susmentionnée (il s'agissait du Voyageur et son ombre) se concilient chez moi, non seulement avec le plus profond affaiblissement physiologique, mais même avec un excès de souffrances. Au milieu même des tortures qu'inflige un mal de tête ininterrompu de trois jours, accompagné de pénibles vomissements de pituite, je bénéficiais d'une clarté de dialecticien par excellence et je méditais à fond de sang froid des questions pour lesquelles, dans des circonstances meilleures, je ne suis pas assez escaladeur, pas assez raffiné, pas assez froid.
Il semblerait que chez des êtres comme Nietzsche, la recherche du sens et du dire de ce sens, mette la chair à l'épreuve comme si c'était au sein de cette "passion" que, comme dans le creuset des alchimistes, se produisait la "cuisson lente".
Jung est un peu de la même famille. Son enfance à été vécue sous le signe d'une relation très ambiguë avec des maladies réelles ou psychosomatiques. Ce comportement de fuite devant la vie ordinaire, cette manière de chercher refuge dans la maladie se retrouva alors qu'il avait près de soixante dix ans quand, à la suite d'une grave maladie qui l'avait plongé dans une espèce de coma rempli de visions il mit trois semaines avant de se décider à retourner vers la vie telle qu'elle est. De ces moments d'enseignements puisés dans un état proche de la mort il revint avec de nouvelles forces et c'est après cette maladie que son travail et la puissance de sa pensée se révélèrent les plus fertiles. Il écrit dans une lettre de 1944 :
"En fin de compte, cette maladie a été pour moi une expérience extrêmement précieuse, elle m'a donné l'occasion extrêmement rare de jeter un oeil derrière le voile. ".
La maladie, probablement parce que elle diminue les défenses du conscient et relativise l'importance de problèmes souvent liés à l'image que l'on souhaite présenter à la société, peut donc, ainsi que l'ont ressenti et pensé Nietzsche et Jung, être un facteur de progression. Je nuance cette pensée, car il est des êtres qui souffrent tellement que je ne vois pas comment leurs souffrances seraient positives. La maladie peut aussi, comme le montre le destin final de Nietzsche, être destructrice. Jung s'est penché, car cela le touchait personnellement sur cette destruction dont il a tenté l'analyse. Mais cela est une autre histoire...
Ariaga
COUP DE COEUR
Pour récompenser ceux qui auront lu jusqu'au bout mon texte un peu " lourd " je vous propose aujourd'hui d'aller faire un tour sur un de mes blogs favoris. Il s'agit d'un photographe : Jean-Louis BEC dont le blog s'intitule Image-Mots, Mots-Image (lien). Il nous offre un dialogue entre de très belles photos et des textes symboliques et poétiques dont les mots creusent un chemin vers les profondeurs de l'être. Si je devais choisir une photo ce serait celle intitulée Léviathan car le groin de la bête me hante. Mais elles sont toutes belles et pleines de sens. Bon regard et bonne lecture.
17:28 Publié dans Jung et la psychologie des profondeurs, photo | Lien permanent | Commentaires (28) | Tags : écriture, culture, philosophie, psychologie, jung, alchimie, spiritualité
Commentaires
Bonjour Ariaga : la maladie comme excuse, c'est bien quand on travaille trop. On fait une pause et on voit la vie autrement je suis bien d'accord. Je vais aller voir ce blog que tu recommandes. Bon week end.
Écrit par : elisabeth | 08/03/2008
La maladie, tout comme la souffrance -amoureuse et autre- sont, je le crois aussi des "épurateurs", des moments de vulnérabilité qui ouvrent le c(h)oeur du creuset ... Je me plais souvent à dire que la tragédie est belle ... dussai-je moi-même en faire l' expérience dans le feu qui alimente ma création ... les moments de passion heureuse et de pleine santé aussi d'ailleurs ... tout l' art étant de toucher à chaque étape au centre de notre être authentique ou du moins d' y tenter ...
Bon rétablissement à toi, Ariaga ... et je confirme, tes invitations en découvertes valent le détour ;-))
Écrit par : Kaïkan | 08/03/2008
Dans le questionnement, je rejoins ton dernier paragraphe. La maladie grave, incurable, torturante.... Comment se débrouillent-il avec ce monstre? Que peuvent le discours et la rhétorique face à cela?
Merci encore pour le "coup de coeur". A bientôt, bises.
Écrit par : jlb | 09/03/2008
Sans doute une note qui me touche encore davantage, tout est dit, si bien dit et si vrai.
Personnellement face aux petites maladies qui pourrissent quand même la vie, c'est là que physiquement je me donne le plus, comme un défi...maintenant celle qui t'abat le corps et l'esprit, il faut être fort de l'amour pour accepter, des deux côtés, de celui qui part, de celui qui reste. Je dis ça maintenant, mais ça a été long, comme de pouvoir en parler...
Je vais faire un petit tour chez Jean-Louis.
Je t'envoie un grand sourire et des bises en échos....
Ta Princesse Asl&
Écrit par : Aslé | 09/03/2008
Parler de la maladie est bien délicat...Ca dépend de quoi on parle.
Il y a des maladies sans leçons, absurdes, glacées, pour lesquelles seules une mort rapide apporte une solution.
Beaucoup de créatifs sont dépressifs, mais tous les dépressifs ne sont pas créatifs... Il y a des dépressions qui annulent toute velléité d'être...
Écrit par : joruri | 09/03/2008
atchoummmmm ! j'ai tout lu !
je peux aller chez JeanLouis ? on dira oui
bisesss
Écrit par : kty | 09/03/2008
le bouddhisme donne un sens même aux maladies les "pires" par sa vision plus globale de la vie, des vies
Mais je laisse chacun prendre ou pas de telles croyances.
Je garde cela en moi comme une hypothèse intéressante, cohérente, mais qu'une hypothèse.
En effet tu parles de passion, avec l'idée étymologique, mais je l'ai vu souvent ces maladies prendre les gens passionnés, peut être parce qu'ils ne s'étaient pas écoutés avant (je serais dans ce cas là sûrement) peut être en effet pour calmer les ardeurs, permettre un "rythme" , des cycles.
Mais pour moi la maladie, c'est surtout une possibilité offerte de revenir au corps, donc être centré ici et maintenant, pour autant qu'on ne continue pas le jeu habituel, et qu'on n'en vienne pas à transformer des douleurs en souffrance, dans un nourrissement mentalement pathologique.
Enfin je suis toujours très prudent sur ce lien travail personnel / maladie, car si je le comprends (par exemple avec cette opportunité obligée de la présence au corps) il y en a tellement (dans le passé ou toujours actuellement) qui en ont fait une "religion de la souffrance" !
bises
Enfin
Écrit par : Lung Ta | 09/03/2008
bonjour chère Ariaga,
toujours très intéressants, tes articles (et non pas "lourds" !)
"il mit trois semaines avant de se décider à retourner vers la vie telle qu'elle est." ........mais comment est "la vie telle qu'elle est" ?
je suis d'accord avec toi sur ce que tu écris à la fin - "Je nuance cette pensée, car il est des êtres qui souffrent tellement que je ne vois pas comment leurs souffrances seraient positives. "
je t'embrasse
Écrit par : ambre | 10/03/2008
Je remercie celui qui signait NIETZSCHE d'avoir laissé un long extrait de l'ouvrage Ecce homo en commentaire mais la place sur le blog n'est pas incompressible et j'ai le livre dans ma bibliothèque. J'ai, à regret, supprimé le commentaire. Toute réflexion personnelle sur le sujet de la note sera la bienvenue, un bon exemple celle de Lung Ta.
Écrit par : ariaga | 10/03/2008
Dommage que vous ayez effacé la citation de Nietzsche... Il aurait mieux valu que vous effaciez votre texte pour le remplacer par elle!
Écrit par : ""Nietzsche(Ecce homo)"" | 10/03/2008
@ Nietzsche (Ecce homo) voilà au moins une opinion, que je me garderai bien d'effacer, exprimée en termes lapidaires, et qui va certainement intéresser mes lecteurs. Je ne peux qu'être d'accord avec vous, je ne puis atteindre dans mes textes la valeur de ceux de Nietzsche. Je vais devoir réfléchir sérieusement à ouvrir un nouveau blog qui ne contiendra que des citations.
Écrit par : ariaga | 10/03/2008
Bonjour Ariaga !
Perso, tes éternuements sont de parfaites citations et que pourrais-je te demander sinon de me refiler cette bonne maladie car ma plume est grippée elle aussi !
C'est quand même étrange ça finalement que lorsque l'esprit quitte sa voie raisonnable il puisse apercevoir, sous d'autres perspectives, des aspects nouveaux des choses qu'il aurait pu manquer sans ça : vive la fièvre, alors !
Oui, je sais, à consommer avec modération, surtout les drogues ;-) Le rêve c'est un peu ça aussi...
J'ai trouvé une illustration aussi sur ton "coup de coeur" du jour, sur 'voeux pieux" que j'ai bien aimée et commentée. Et bien, tu ne me croiras pas, mais mon commentaire a disparu !
Il me faut un aspirine...
Écrit par : guelum | 10/03/2008
une...aspirine : un remède pour l'attention !
Écrit par : guelum | 10/03/2008
"...ce qui ne le tuait pas le fortifiait". La maladie peut se révéler un très bon professeur lorsqu'on profite de ses leçons.
Merci de ton passage chez-moi chère Ariaga, Kea
Écrit par : Kea | 10/03/2008
Alors vas-y! Remets-cette citation ...pour la route...
Écrit par : """Nietzsche, Ecce homo""" | 11/03/2008
@ Elisabeth, c'est vrai que la maladie, la sienne ou celle des autres peut être un raison commode pour s'éloigner des problèmes de la vie ordinaire. mais elle peut aussi être un moyen de rebondir. nous sommes sur la même longueur d'onde.
Écrit par : ariaga | 11/03/2008
@ Kaïkan, tu comprends toujours ce que je tente maladroitement d'exprimer. La quête passe par de douloureuses calcinations, dissolutions, résurrections. l'essentiel, comme tu le dis est de revenir au centre, au Soi.
Écrit par : ariaga | 11/03/2008
@ Jib, il est des moments où la douleur fait perdre le statut d'humain pour passer à celui de bête souffrante. Sur le plan spirituel je pense à Krishnamurti qui disait q'un homme qui a le ventre vide ne peut pas méditer comme celui qui se sent bien dans son être physique.
Écrit par : ariaga | 11/03/2008
@ Princesse Aslè, quand je te lis je sens qu'il y a sous tes mots une grande souffrance mais tu as une telle capacité d'amour que cette souffrance est un socle sur lequel rebâtir plus beau et plus fort. Tu attires les ondes de l'Amour vrai. C'est pour cela que tu es une princesse dans mon monde alchimique.
Écrit par : ariaga | 11/03/2008
@ Joruri, tu as raison, nous ne sommes pas égaux devant la maladie et si certianes maladies ont le caractère d'une épreuve initiatique d'autres ont un caractère infernal auquel il est difficile de trouver un sens.
@ Kty, je savais que mes textes pouvaient intéresser, ennuyer, mais faire éternuer quel pouvoir ! Je suis contente que tu acceptes mon invitation au voyage.
Écrit par : ariaga | 11/03/2008
J'ai tellement connu la géhenne des crises migraineuses que j'avoue avoir du mal à défendre "l'enseignement" qu'elles ont pu me donner. A l'époque je disais que la seule représentation correcte de cette douleur c'était "le cri" de Munch !
Maintenant, il est probable que ces crises m'aient rendues réceptive à beaucoup de chose, mais à quel prix !
C'est amusant de te retrouver aussi avec M. Onfray et Krishnamurti. Ils m'ont bien soutenus ces deux là avant que je ne croise Jung, mais c'est un étrange tandem quand même ;-)
Écrit par : L'Arpenteuse | 12/03/2008
@Lung Ta, merci de cette contribution très personnelle. Et surtout j'apprécie que tu rappelles l'exploitation qui a été faite de la religion de la souffrance, en particulier sur le plan social. Ce n'est pas grave de souffrir disaient les riches puisque vous aurez le paradis...
@ Ambre, ton commentaire appuie celui de Lung Ta. Il y a des limites et si on les franchit on tombe dans la martyrologie !
Écrit par : ariaga | 12/03/2008
@ Guelum, tu avais caché une de tes personnalités entre deux commentaires et je ne t'avais pas vu. Je pense qu'il y a sur les blogs des phénomènes étranges de vases communicants (communication ?) Pour ce qui est des commentaires qui disparaissent cela m'arrive tout le temps. Quand je retourne là où j'avais cru laisser un commentaire, disparu...et comme je ne vois aucune raison pour qu'il ait été supprimé par le proprio, je pense qu'il est tombé dans la fameuse faille spatio temporelle qui me hante !
Écrit par : ariaga | 12/03/2008
@ Kea, je passe volontiers chez toi où la pensée et l'ambiance sont de qualité et puis nous avons un lien.
@ l'Arpenteuse, je ne crois pas avoir mis Onfrey et Krishnamurti en tandem car je pense, comme tu le dis que cela aurait été étrange. Je suis bien contente que tu acceptes à nouveau les commentaires sur ton blog et les phénomènes de synchronicité continuent. Merci de ton amitié sans faille.
Écrit par : ariaga | 12/03/2008
Je ne réagis pas maintenant au sujet que tu abordes ou alors que très brièvement.
J'aime beaucoup cette photo. Une photo qui m'inspire l'abandon, la fragilité, le définitif, et en même temps qui me paraît extrêmement agressive... Comme des dents, mais j'imagine que tu dois avoir la même impression que moi à ce propos.
Les dents de la Terre, en quelques sorte !!
Et ce ciel nuageux en arrière plan crée un très bon effet !!!
Quant à ton sujet. Je le résumerais tout simplement, comme apprendre de ses erreurs. Bon, je synthétise, évidemment!!!!
Écrit par : Mlle Tyael | 13/03/2008
@ Mlle Tyael, J'aime photographier ce carcasses pourrissantes à la limite entre l'herbe et la vase. Ce n'est pas gai mais si tu regardes bien, en haut, à gauche, il y a une petite fenêtre sur l'infini ! tout à fait d'accord sur le fait que l'on peut apprendre de ses erreurs, y compris des erreurs de notre corps.
Écrit par : ariaga | 13/03/2008
Juste ces mots qu'éveillent en moi ce texte et la photo:
Quand je crois tout brisé en moi
J'ai la place pour tout reconstruire.
La maladie n'est peut être alors
que le langage de ce que je n'ai pas su dire .
Pour prendre soin de mon être.
Écrit par : lilou | 14/03/2008
@ Lilou, merci de ce joli texte. Il faut vider la vase pour le remplir. Rt prendre soin de son être est le travail de toute une vie.
Écrit par : ariaga | 14/03/2008