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27/04/2007

Dialogue avec Dieu

...Suite des deux précédentes notes.

   Une réflexion, que l'on peut qualifier de "philosophique "commence chez l'enfant à la suite du rêve de la cathédrale et quoi que Jung s'en défende, je crois qu'elle perdurera jusqu'au seuil de la mort. La lecture des ultimes lettre de la Correspondance m'en a persuadée. Il va, très précocement, déduire de son expérience un certain nombre de conclusions qui auront une grande importance pour l'évolution de sa pensée. 

   Tout d'abord, l'évidence des contradictions inhérentes à la nature divine : Dieu, omniscient, connaît toute l'histoire de l'humanité. Et pourtant, il crée des hommes qui ne peuvent échapper au péché. Ensuite, non seulement il interdit ce péché mais il le punit. Y a t-il en Lui une part de cruauté ? Si oui, Dieu n'est pas "tout de bonté". Il montre son autre face, celle de la cathédrale : une face implacable qui ignore ce que les hommes appellent le juste et l'injuste. Il n'apporte ni secours ni réponses. Pire, il peut être l'instigateur d'une situation où un malheureux enfant, torturé par le doute, doit "penser à ce qui est maudit, pour participer à Sa grâce." On est seul devant ses décisions, et on ne peut attendre aucune aide quand se pose un problème vital de choix. La jeunesse, pense le Jung de douze ans, le manque d'expérience, ne sont pas des excuses, au moment de répondre aux exigences de la terrible volonté divine. 

   Ces première conclusions provoquent un grand désarroi chez le jeune garçon qui, dans le milieu de pasteurs où il vit a entendu beaucoup de discussions théologiques. Elles impliquent une mise en cause de sa relation à la religion. Au dessus de l'église, et de son discours théologique, il y a un Dieu vivant, immédiat, tout puissant, qui se moque des traditions sacrées, puisqu'il est capable de démolir sa propre église d'une manière aussi scandaleuse. Ce Dieu peut exiger que l'on renonce à toutes ses opinions pour bafouer la tradition religieuse. Tout cela est assez effrayant.  Après la déception provoquée par sa communion, cérémonie en laquelle il avait mis son dernier espoir, car il pensait que Dieu à cette occasion allait se manifester à lui d'une "manière inouïe"et où il ne ressent qu'un grand vide glacial, il parvient à cette constatation :" J'étais tombé hors de l'église. Cela me remplissait d'une tristesse qui devait assombrir toutes mes années jusqu'au commencement de mes études universitaires."(Ma vie, p.77).

   Si Jung enfant était tombé hors de l'église, son dialogue avec le Dieu biblique de ses pères était loin d'être terminé. Un fil direct relie la scandaleuse vision de la cathédrale, avec un détour par Les sept  Sermons aux morts, à l'étude tout aussi scandaleuse aux yeux de certains (qu'ils soient catholiques ou protestants), que Jung fait de l'"autre face"à l'origine du comportement de Yahvé dans Réponse à Job, une bonne soixantaine d'années plus tard. Ce qu'il écrit sur Yahvé doit être remis dans le contexte de l'ouvrage mais je vous en donne un extrait :"C'est la conduite d'un être essentiellement inconscient, conduite que l'on ne saurait soumettre à des critères moraux. (...) La dualité de l'attitude de Yahvé qui, d'une part piétine sans le moindre scrupule la vie et le bonheur humain, et pour qui, d'autre part, il semble que l'homme doive être un partenaire, place l'homme dans une situation inextricable : en effet, Yahvé Se comporte de façon absolument déraisonnable, à l'image des catastrophes de la nature et autres désastres imprévisibles, et il veut à la fois être aimé, honoré, supplié, et loué comme étant le Juste."(p.59et61)

   On sent, en lisant ces mots par l'intermédiaire desquels Jung exprime son indignation personnelle contre la nature paradoxale de Dieu, la trace indélébile du rêve du Dieu souterrain et de la vision de la cathédrale. Cependant sa colère est constructive. Elle le conduit, dans cet ouvrage, à la constatation qu'une prise de conscience, et la possibilité d'une relation harmonieuse de Dieu avec l'homme, passent par le chemin d'une incarnation christique. C'est parce que Dieu avait besoin de l'homme pour devenir conscient de lui-même et de sa création qu'il a progressivement ressenti la nécessité de s'incarner. 

   Bien d'autres développements sur la relation Dieu-homme, et une réflexion sur les possibilités d'intégration de l'élément féminin à la divinité, sont contenus dans cet ouvrage très personnel. Mais je me suis limitée, au sujet de ces deux rêves et de leur prolongement dans la vie et l'oeuvre de Jung, à montrer la présence au sein de ces rêves "initiaux", d'éléments à l'origine de l'enracinement de sa pensée et de ses réactions émotionnelles futures. J'espère aussi avoir signalé l'importance qu'il faut accorder aux rêves, visions et imaginations des jeunes enfant et pré-adolescents, car ils peuvent avoir une grande influence sur leur futur développement psychique.

   Il est possible que je vous ai "gonflés" avec mon cher Carl Gustav pendant deux semaines. Promis à ceux que je connais pour lesquels Jung n'est pas leur "tasse de thé", je vais aborder d'autres sujets. Si cela "descend" pour le Samedi /Dimanche photo/poésie. 

     Ariaga
 

 

26/04/2007

La face obscure de Dieu

....suite de la noté précédente.

   Après un moment qui est du domaine de ce que Jung lui même appelle l'"illumination", le côté raisonneur et philosophe en herbe du jeune garçon reprend le dessus. L'enfant va passer alternativement d'un sentiment d'infériorité, qui le fait se considérer tantôt comme un "pourceau", pour avoir laissé devenir consciente une telle pensée, contraire à toute son éducation, au statut enviable d'"élu" possesseur d'un grand secret sur la nature divine.

L'interprétation de cette vision a fait partie, comme une ombre, de la trame de la vie de Jung jusqu'à ce qu'il affronte, au moment de sa décision d'écrire Réponse à Job, le fait d'avoir vu, si jeune, la face obscure de Dieu.

   Je laisserai de côté, malgré son intérêt, une interprétation freudienne  sur la sexualité refoulée d'un pré-adolescent, qui se débattrait contre ses pulsions sexuelles et la crainte d'un orgasme solitaire et, après bien des luttes, succomberait à sa pulsion. Le fait d'y associer une redoutable obscénité lui procurerait un trouble sentiment de félicité. Mais cette interprétation n'est pas dans la ligne de la pensée de Jung qui ne s'intéressa jamais au côté sexuel de cette vision. Et il n'avait rien d'un refoulé, sa vie privée le montre. Je pense plutôt qu'il la vécut comme"une rencontre et une confrontation directe avec Dieu", en un moment où il incarnait le rôle du héros acceptant de descendre aux enfers pour remplier sa mission. Il en arriva à la conclusion suivante : lorsqu'une figure divine met à l'épreuve le courage humain, elle peut paraître terriblement cruelle, jusqu'à exiger que soient bafouées les valeurs les plus sacrées. Le fait qu'il s'agit d'une vision ajoute à l'impression que dut avoir le jeune garçon de commettre une faute irréparable. Le rêve est reçu pendant le sommeil par un rêveur qui peut se considérer comme non responsable du contenu de ses songes. Cette vision est une vision acceptée, consciente, regardée dans un état proche de l'éveil. Une attitude héroïque, allant jusqu'à l'acceptation de la perte de l'âme, a alors été assumée par le jeune Jung qui, pour la première fois, commençait à incarner ce qui sera son"mythe"jusqu'au "grand rêve" de la mort de Siegfried en 1914 où il "tuera" l'image héroïque qu'il projetait sur Freud. Demain, suite et fin, courage cela sera peut-être un peu plus long que d'habitude.

     Ariaga
 

24/04/2007

L'inacceptable vision du jeune Jung à la cathédrale de Bâle

   Après vous avoir raconté et, dans la mesure du possible commenté, un rêve de la petite enfance de C. G. JUNG, je vais maintenant faire connaître à ceux qui ne l'auraient pas lue dans Ma vie, une vision terriblement marquante survenue alors qu'il avait douze ans. Pour Jung, la différence entre rêve et vision réside dans le fait que la vision est brève (on pense au "flash" des voyants) et représente une forte coopération entre le conscient et l'inconscient dont elle est plus proche que le rêve. Mais Jung lui donne la même signification sur le plan d'une émergence de forces inconscientes dont la vision est souvent une forme d'aboutissement. 

   A l'époque de ce rêve-vision, le jeune Jung vit une période difficile de repli sur lui-même et de maladie quasi névrotique due à l'existence secrète d'une sorte de seconde personnalité qu'il appelle le numéro deux. Les relations entre Jung et son numéro deux sont tout à fait fascinantes et je vous raconterai cela pendant une autre trêve (???) électorale, les législatives par exemple. il s'efforce d'être pieux, mais il est sans cesse torturé par des pensées secrètes, à la fois fascinantes et humiliantes. Tous ces tourments expliquent probablement l'épreuve qui l'attend sur la place de la cathédrale. 

   Par une belle journée d'été de l'an 1887, l'enfant contemple le toit de la cathédrale de Bâle.C'est superbe, le soleil se reflète sur les tuiles vernies. Au-dessus du toit, le ciel est d'un bleu limpide. En surimpression de ce tableau, d'une bouleversante beauté, l'enfant, toujours imaginatif, installe, tout en haut dans le ciel, le Bon Dieu des images, celui qui siège sur un trône d'or dans les rayons du soleil et là...quelque chose se bloque ! l'hagiographie est balayée, une abominable vision a remplacé la pieuse image, abomination au sujet de laquelle il doit impérativement arrêter de penser. Un bienheureux oubli va certainement faire disparaître ce dont l'idée même constituerait le plus monstrueux des péchés, celui qui est pire qu'un meurtre, le "péché contre le Saint Esprit", dont la sanction est la damnation éternelle. Et il y croyait dur comme fer, à cette damnation éternelle, lui dont le père et les oncles étaient tous pasteurs !

   Pendant des jours et des nuits, l'enfant, complètement désemparé, se défend : "Surtout ne pas y penser !surtout ne pas y penser !" Et l'idée interdite s'insinue sans cesse, en particulier quand vient le sommeil, et que les défenses sont amoindries. Il a déjà beaucoup de force psychique et s'interdit de dormir. La troisième nuit, suant d'angoisse et de peur de s'endormir, laissant alors une porte ouverte à la pensée de la cathédrale et du Bon Dieu, il s'avoue vaincu et en toute lucidité décide "il faut que je pense". C'est pourquoi, à la suite d'un raisonnement que je trouve très bien argumenté, il décide que c'est Dieu, lui même, qui l'a mis dans cette situation désespérée, et cela pour tester ses capacités d'obéissance. Il fait alors une sorte de pari pascalien et rassemble tout son courage :

         "Je rassemblai tout mon courage, comme si j'avais eu à sauter dans le feu des enfers et laissai émerger l'idée : devant mes yeux se dresse la belle cathédrale et au dessus d'elle le ciel bleu. Dieu est assis sur son trône d'or, très haut au dessus du monde et de dessous le trône un énorme excrément tombe sur le toit neuf et chatoyant de l'église ; il le met en pièces et fait éclater les murs."

C'était donc cela ! L'enfant épuisé par la tension des derniers jours, verse des larmes de bonheur et de soulagement. Il a fait l'expérience de la volonté de Dieu et au lieu de la damnation, acceptée comme un risque suprême, c'est la grâce qui lui a été accordée. Il a ressenti une "indicible félicité" et une indescriptible délivrance". Cela aurait pu rester comme un moment exceptionnel dans la vie de ce jeune garçon mais Jung était un compliqué et je vous raconterai la suite la prochaine fois.

       Ariaga
 

18/04/2007

Rêve d'enfance de C. G. JUNG : la terreur devant l'énorme

.....suite de la note précédente.

Comme je l'ai dit, Jung lui même a interprété son rêve d'une manière détaillée dans Ma vie. Ce que j'ai envie de partager avec vous est l'observation de l'émergence, dès ce rêve, des symboles qui eurent une influence sur sa vie et sa pensée. Si, comme il l'écrivit, la vie est une "plante qui puise sa vitalité dans son rhizome", les racines sont profondes et les jeunes pousses vigoureuses. Les rêves précoces étant issus des "profondeurs de la personnalité", proposent, toujours selon Jung, une sorte de schéma du destin "psychique" de l'enfant.

    Les premières impressions que Jung a gardé de ce rêve ne sont pas restées au niveau des émotions enfantines. Ce niveau mériterait, d'ailleurs, une étude freudienne qui enrichirait certainement l'interprétation mais la réflexion de Jung se situe sur un autre plan et je laisse à des freudiens compétents la liberté de commentaires sur un rêve qui doit être pour eux un "rêve d'école". Les pensées sur ce rêve qui l'obsédait ont été, pense t-il , à l'origine d'une focalisation sur des thèmes essentiels à ses yeux. Les années suivantes, jusqu'à son entrée au collège, furent pour lui une sorte de "mise en terre" initiatique aux mystères de la terre. Dans cette obscurité, la lumière mit longtemps à percer mais des archétypes tels que l'étranger, le sexe, la mère terrible, furent activés.

Tout commence avec la rencontre de ce que Rudolf OTTO appelle le "le mystère qui fait frissonner la créature", le "numineux" ou encore l'"effroi mystique"ou enfin  l'"énorme ", ce dernier terme me semblant le mieux s'appliquer à ce que ressentit l'enfant Jung. Avec cette représentation phallique (dont il ignore consciemment qu'elle est phallique) l'enfant vient de rencontrer un dieu chtonien, souterrain, ancien, un dieu de la Nature, très éloigné des préoccupations métaphysiques affichées par son père et ses oncles pasteurs. Je crois que l'on peut trouver dans ce rêve une première explication, inconsciente, de l'ambigüité future de son attitude envers Dieu.

Dans le contexte culturel de l'enfant, sur le trône d'or du rêve, il y aurait du y avoir le "bon Dieu, ou le Seigneur Jésus Christ, sans cesse loué comme un Dieu d'amour et de bonté. A la suite de ce songe, chaque fois qu'il entendait ces laudatives paroles prononcées avec emphase il avait des doutes. D'abord, il avait déjà une tendance à associer le Seigneur Jésus à ceux que son père enterrait dans un trou noir et dont on disait que "le Seigneur les avait rappelé à eux". Et puis lui revenait à la mémoire l'Autre de son rêve, celui que sa mère avait appelé l'ogre, prêt à descendre  de son trône pour le dévorer. Ce dieu souterrain lui semblait être la contrepartie, l'opposé nécessaire, du Bon Seigneur Jésus. Le problème des multiples visages de Dieu, problème rattaché à la question de la totalité divine, ne sera abordée par Jung, après bien des réticences, que dans Réponse à Job, soixante dix ans plus tard. 

L'idée d'une présence étrangère au conscient, issue des mystérieuses profondeurs  de l'inconscient est, elle aussi, latente dans la question "Qui donc parlait en moi ? qui s'insinue très tôt dans les pensées de l'enfant. Qui pendant le rêve, empruntait la voix de sa mère absente ? D'où venait cette impression de dédoublement, de dialogue intérieur avec une autre personne ? 

Avec les éléments que donne Jung dans ses écrits sur sa relation privilégiée avec la Nature, je crois pouvoir dire sans hésitation qu'il avait, tout enfant, entendu la Grande voix de la Mère de la Nature, celle là même que suivaient et respectaient les alchimistes. La voix lui parle de la terrible lutte entre les pôles opposés masculin et féminin, lutte dont le formidable déploiement énergétique est à la racine de la vie au moment ou se produit la "coopération amoureuse". (à suivre). 

25/03/2007

T. DESHIMARU : Zen et pensée cosmique

"Hishiryo inclut toutes choses, toutes les existences, le bon et le mauvais, le relatif et l'absolu, le rationnel et l'irrationnel. Hishiryo est non-égoïste. C'est la pensée cosmique.

Comme le soulignent les physiciens d'aujourd'hui, l'ordre cosmique n'est pas simplement rationaliste. Ces chercheurs célèbres s'accordent maintenant à reconnaître que le système cosmique opère tantôt de manière destructrice, et tantôt de manière créatrice, parfois en bien, parfois en mal, et qu'il inclut toutes les contradictions. Si nous ne suivons pas l'ordre cosmique, notre vie sera difficile." ...

..."Croire en la puissance cosmique fondamentale est avoir vraiment foi en Dieu. Chacun d'entre nous est l'enfant de cette puissance fondamentale. Chacun d'entre nous est une existence cosmique. C'est à cela que nous  devons nous éveiller. Être éveillé, écrit Maitre Dogen dans le Genjo-koan, c'est être certifié par toutes les existences du cosmos." 

Roshi Taïsen Deshimaru.  La voix de la vallée, l'enseignement d'un maître Zen, ed. du Rocher, p. 49 et 76.

15/02/2007

L'image de Dieu

"Nos images sont en règle générale des images de quelque chose"..."l'image de Dieu est l'expression d'une expérience sous-jacente de quelque chose  que je ne peux pas atteindre avec des moyens intellectuels, c'est à dire par la connaissance scientifique, à moins de me livrer à une transgression irresponsable"... Lorsque je dis que je n'ai pas besoin de croire en Dieu parce que "je sais", je veux dire par là que je sais ce qu'il en est des images de Dieu en général et en particulier. Je sais qu'il y va d'une expérience universelle et, dans la mesure où je ne suis pas moi-même une exception, je sais que j'ai moi aussi une telle expérience que je peux appeler Dieu...Cette étrange force qui se manifeste pour ou contre mes mouvements conscients m'est bien connue. C'est pourquoi je dis  : "Je le connais."Mais pourquoi devriez vous appeler ce quelque chose "Dieu"? Je répondrais : "pourquoi pas ?  On l'a toujours appelé "Dieu". 

                       C. G. Jung.  

Correspondance, T.5, p. 138.  

12/02/2007

La terreur sacrée

Ce matin le vent soufflait très fort et je sentais une force qui me bouleversait...

Le sacré, comme catégorie d'évaluation rationnelle ou d'interprétation symbolique appartient au domaine religieux et éthique. Ici, je parle d'émotion et d'irrationnel. Un nom, repris par C.G.Jung, a été donné à cette émotion par R. OTTO. Il s'agit d'un théologien allemand (1866-1937) auteur d'un ouvrage intitulé Le Sacré (ed. all.1929, trad. fr. 1949, Payot.) qui a appelé cette grande émotion le numineux (de numen). Il s'agit d'une émotion que certains ont peut-être ressenti, celle du mystère qui fait frissonner. Ce peut être une onde paisible ou un surgissement dans l'âme produisant un choc intense, et aussi un tremblement de la créature qui demeure silencieuse et humble devant un mystère qui fait chavirer les catégories de sa raison et la fait se sentir minuscule. 

je pense aussi à la colère de Jahveh dans la bible, colère qui s'enflamme comme une force cachée de la Nature, provoquant un terrible effroi. Dieu, ressenti comme une majesté suprême, omnipotente, omnisciente, peut aussi être source d'une forte numinosité. Je dis forte parce que je pense force. Le numineux dégage une forte énergie, une, tension de l'être qui est le moteur d'une excitation conduisant à un terrible ascétisme ou à des actes héroïques dépassant l'imagination. 

On peut aussi retrouver le numineux dans l'expérience puissante d'un grand rêve qui laisse le rêveur "tremblant", et aussi dans l'oeuvre alchimique spirituelle pendant laquelle certains, au lieu de suivre la voie patiente et "humide", ont soudain , pour avoir employé un feu violent, brûlé et tremblé de peur devant la lumière trop éblouissante qui éclairait la voie sèche. Et les poètes... j'en ai lu sur des blogs amis qui doivent très bien "ressentir" ce que je veux dire quand je pense à la numinosité. 

07/02/2007

Méditation et imagination en alchimie

Quand je parle d'alchimie sur ce blog je fais référence, pour l'instant, aux philosophes alchimistes de la nature" du Moyen Äge. Les racines sont beaucoup plus anciennes, grecques arabes, chinoises, etc. La constance des alchimistes envers une recherche assez désespérante quant aux résultats, peut s'expliquer par leur "attitude mentale" à l'égard de l'Oeuvre.  S'appuyant sur les textes d'un auteur du Moyen Äge, où il est écrit que l'Oeuvre doit être accomplie "avec l'imagination vraie et non avec celle qui est chimérique", C.G.Jung parvient à l'hypothèse suivante : "il semble très possible que l'auteur soit en fait de l'avis que le secret essentiel de l'art est caché dans l'esprit humain ou, pour l'exprimer en termes modernes, dans L'inconscient. Ce serait pour cette raison que l'homme ignorant ne peut accomplir l'Oeuvre sans avoir étudié les anciens philosophes, prié Dieu, et s'être mis dans une certaine condition mentale. 

La méditation, le premier des exercices propres à aider l'alchimiste à s'élever à la hauteur de sa tâche, est considérée par les alchimistes comme un "colloque intérieur" avec un invisible "autre" qui peut être, par exemple, soit Dieu, soit un autre "soi même", soir un ange gardien.  Ce colloque intérieur, dépassant le stade d'une simple réflexion, est un rapport avec l'autre en nous, assimilée par Jung à un dialogue avec l'inconscient.  Il s'agit d'une "relation dialectique vivante", comparable à celle de la psychologie des profondeurs.

L'imagination , n'est pas une vague rêverie ou une idée qui nous vient à l'esprit, au sens de pensée sans substance, c'est une représentation voulue, certains diront "pensée dirigée". Comme beaucoup de concepts alchimiques cette imagination est mise en relation avec l'âme et Dieu. Quand les auteurs parlent de la faculté imaginative de l'âme, il faut se représenter une sorte de délégation de pouvoirs à partir du divin. En simplifiant : l'âme est le "vicaire de Dieu et, dans cette fonction, elle gouverne la pensée ; pensée qui gouverne le corps en devenant une "âme corporelle résidant dans le sang". L'imagination serait donc un phénomène à la fois spirituel et physique, ce qui pourrait expliquer son influence sur les transformations de la matière. La faculté imaginative de l'âme de l'alchimiste lui permettait ainsi d'entretenir un rapport avec la matière qu'il espérait transmuter.

Le domaine intermédiaire entre la matière et la psyché était, pour les alchimistes, celui des corps subtils. Le corps subtil était considéré par ces alchimistes, utilisant à la fois la symbolique alchimique et des conceptions religieuses, comme une véritable réplique et Modèle de la vraie Pierre spirituelle et céleste : Jésus Christ. Le projet de l'alchimiste étant de produire le "corps transfiguré de la résurrection".

L'imagination était donc liée, en remontant la chaîne de la délégation de pouvoirs, à l'imagination de Dieu. Cela permettait à l'"artiste" de saisir et de se représenter "le plus grand" qui avait alors la possibilité de passer d'un état potentiel à la réalité substantielle. Avec l'aide de Dieu, formule fréquente en alchimie, "tu peux concevoir le plus grand", ton corps peut le réaliser, était-il enseigné à l'adepte.

Ce que l'imagination tente de faire accéder à la représentation, ce plus grand, c'est, pour la psychologie des profondeurs de Jung, l'émergence de représentations symboliques des contenus archétypiques de l'inconscient. 

 

24/01/2007

Méditations sur le Tarot

Il y a quelques années, en furetant chez un bouquiniste, je suis tombée par hasard, je ne crois d'ailleurs pas au hasard pour ce genre de choses, sur un livre qui m'a beaucoup marquée. C'est un gros bouquin de près de 800 pages, que j'ai "explosé", à force de l'explorer. Commencé par tous les bouts, jamais terminé, ses morceaux sont maintenant dans des chemises car il ne veut pas se laisser recoller. Le titre exact est Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot  "par un auteur qui a voulu conserver l'anonymat". Editions Aubier montaigne, 1984. Je ne veux pas savoir si on le trouve toujours, qui est véritablement l'auteur, car ma relation particulière avec cet ouvrage demande le mystère. A vous de chercher si vous êtes tentés et alors vous trouverez...

Ces méditations s'inspirent de l'hermétisme chrétien (mystique, gnose, magie), de la Kabbale juive et des traditions astrologiques de Chaldée et d'Inde. Il fait aussi référence à des anciens comme Jacob Böhme. " Voici deux citations, l'une concerne l'idée de Dieu et l'autre "le Pendu". 

"L'un des sens du premier commandement : "Tu n'auras pas d'autre dieux devant ma face" est qu'il ne faut pas substituer à la réalité spirituelle de Dieu l'abstraction intellectuelle de Dieu. On pèche donc contre le premier commandement lorsqu'on substitue à l''Être igné, lumineux et vibrant de vie, le "principe" ou l'"idée" abstraits soit de "cause première" soit de l'"absolu"qui ne sont, à vrai dire, que des "images taillées" mentalement ou des idoles construites par l'intellect humain."(p. 219)

 

"Le Pendu, qui est-il ? Le Saint, le Juste, l'Initié ?

Tous les trois ont cela en commun que leur volonté est organe du Ciel. Le Pendu peut être regardé comme l'un ou l'autre, mais il représente individuellement quelque chose qui est la synthèse de la sainteté, de la justice et de l'initiation. Le Pendu est le Job éternel, l'Êprouvé de siècle en siècle, celui qui représente l'humanité envers Dieu et Dieu envers l'humanité. Le pendu, c'est l'Homme véritablement humain et son sort est celui de l'homme véritablement humain.

Le Pendu est le représentant de l'humanité qui se trouve entre deux royaumes, celui du monde et celui des cieux. Car ce qu'il y a de véritablement humain dans l'homme et dans l'humanité, c'est le Pendu.

23/01/2007

Le concept de Dieu

 

"Psychologiquement parlant, toute idée de quelque chose d'ultime relève du concept de Dieu, qu'il s'agisse d'éléments premiers ou derniers, des plus hauts et des plus bas. Le nom que l'on y consacre ne change rien à la chose."

C. G.  Jung, Réponse à Job, p.209.

15/01/2007

Alchimie : un dictionnaire

Le dictionnaire Mytho-hermétique de Dom Antoine-Joseph Pernety est un outil précieux pour celui (ou celle !) qui cherche à trouver son chemin dans la forêt de la symbolique alchimique. Rédigé en français, publié en 1758, oeuvre d'un religieux bénédictin, il en existe un fac similé aux éditions Arché.

Ce moine, très chrétien, fait preuve d'une largesse d'idées étonnante, en particulier dans sa manière, tout en s'abritant derrière des auteurs, de diviniser la Nature. Il utilise, en effet, pour ses définitions des extraits "choisis" des auteurs les plus réputés et, même s'il ne le cite pas très souvent, on devine l'influence de Paracelse. Il propose ainsi un vaste panorama de la philosophie hermétique à l'époque de son travail. Il justifie ses recherches, sur le plan religieux, en écrivant dans dans sa préface:

"Cette Science est un don de Dieu, et un mystère caché dans les livres des philosophes, sous le voile obscur des énigmes, des métaphores, des paraboles et des discours enveloppés, afin qu'elle ne vienne pas à la connaissance des insensés qui en abuseraient et des ignorants qui ne se donnent pas la peine d'étudier la Nature."

Ces gens qui refusent d'étudier la Nature sont ceux qu'il avait déjà fustigés par ces lignes qui me semblent avoir conservé toute leur actualité :

"Mal à propos traite-t-on de fous les Philosophes Hermétiques : n'est-ce pas se donner un vrai ridicule que de décider hardiment que l'objet de leur Science est une chimère, parce qu'on ne peut pas le pénétrer, ou qu'on l'ignore absolument , C'est en juger comme un aveugle des couleurs. "

Je pense que cette citation de Pernety devrait être méditée de nos jours.

Pernety fait le choix de multiplier les exemples, au risque d'être touffu, pour donner au lecteur la possibilité de se faire une idée au sujet des "obscurités" qui peuvent être à l'origine d'erreurs, mais aussi de découvertes "extraordinaires". C'était un homme qui ne craignait pas de prendre des risques, on le voit dans les dernières lignes de la préface :

"Il me semble que plus un homme a d'étendue de génie et de connaissances moins il doit nier et plus il doit voir de possibilités dans la Nature. A être crédule il y a plus à gagner qu'à perdre. La crédulité engage un homme d'esprit dans des recherches qui le désabusent, s'il était dans l'erreur, et qui toujours l'instruisent de ce qu'il ignorait." 

Et que dire de ce qu'écrit Pernety à l'article Nature :

"L'oeil de Dieu, Dieu lui même toujours attentif à son ouvrage, est proprement la Nature-même, et les lois qu'il a posées pour sa conservation sont les causes de tout ce qui s'opère dans l'univers"

Pour Pernety, comme pour Paracelse, la Nature toute puissante est assimilable à Dieu et en retournant la proposition on peut se demander si ces philosophes, sans en être conscients, n'assimilaient pas Dieu à la Nature.

Pour ceux qui suivent ce blog depuis un moment ils comprendront que cette idée m'interpelle fort.